Graveland - Immortal Pride
Eastclan / No Colours
1998 / 1999
Immortal Pride représente l'album de transition entre la période traditionnelle celtisante du groupe et la période viking plus récente, qui constitue à mon sens le déclin de Graveland vers une formule stéréotypée prévisible - qui n'a sa place que dans la bande-son d'un téléfilm heroic fantasy de série B.
Une première question se pose: Capricornus étant crédité pour ses parties de batterie dans le livret, pourquoi a-t-il abandonné la batterie acoustique au profit d'une boîte à rythme, qui plus est mal programmée? En effet, c'est un défaut majeur de l'album: une certaine bancalité omniprésente gâche l'effet des meilleurs thèmes. La boîte à rythme n'est pas carrée, ce qui la désynchronise avec les parties de guitare. En outre, certaines mélodies d'arrière-plan dissonnent avec le riff principal.
Darken use à profusion de divers samples, finalement assez restreints (bruit de vent, cris de mouette). Sans être mauvaise, l'idée devient rapidement agaçante. Par exemple le bruit de vent finit par devenir envahissant, tant on a parfois l'impression de l'entendre en arrière-plan. Ce n'est pas l'ambiance qu'il renforce, mais la bancalité de l'enregistrement, qui évoque un mauvais films aux effets sonores bas de gamme.
Concernant la formule musicale, Darken mélange ses typiques riffs épiques celtisants (on croirait entendre des chutes de Thousand Swords) avec une forte influence de Bathory période Hammerheart, notamment par l'introduction de chœurs masculins nordisants ou de synthés épiques qui deviendront la marque de fabrique du nouveau Graveland (désormais réduit à la seule personne de Darken). Un autre défaut majeur d'Immortal Pride réside dans sa longueur: 50 minutes pour 4 morceaux, dont une intro et une outro, sans compter que l'un des deux morceaux principaux, "Sons of Fire and Steel", comporte également une introduction et un épilogue. Quelle que soit leur nature, les morceaux sont - à quelques bons passages près - longs, lents et chiants.
"Sacrifice for Honour" débute avec un riff entraînant sur un rythme enlevé. Cependant, au bout d'une ou deux minutes, au moment où la voix arrive, on retombe dans les riffs de remplissage qui semblent recyclés de l'album Thousand Swords. Il faut attendre longtemps les bons riffs, qui sont toutefois légèrement gâchés par la bancalité de la boîte à rythme ou par les mélodies involontairement dissonantes d'arrière-plan. De plus, il ne faut pas compter sur les vocaux monotones et ennuyeux de Darken pour distraire l'auditeur: il se contente de réciter son texte avec sa voix black sans la moindre accroche inventive, comme s'il racontait sa vie.
La structure des morceaux est très préprogrammée, on retrouve le schéma typique A-B-C-A-B-C, sauf que le nombre de riffs/thèmes est multiplié au moins par deux, ce qui donne concernant "Sacrifice for Honour": A-B-C-D-E-F-G-C-D-E-F-G-B (sans compter les riffs/thèmes alternatifs). Le problème n'est pas seulement que les morceaux sont longs, interminables et ennuyeux: les transitions sont également assez mal gérées. Darken se contente de marquer une légère pause en laissant sonner la dernière note d'un riff, puis enchaîne sur le suivant ; au lieu de dynamiser l'enchaînement ou de trouver une accroche, la bancale boîte à rythme se contente de suivre péniblement le riff, comme un cheval poussif qui se ferait entraîner par sa carriole à défaut de la traîner lui-même.
L'outro "To Die in Glory" est en fait plus ou moins une reprise au synthé du thème principal de "Thurisaz" (extrait de Following the Voice of Blood), même si la suite brode sur des thèmes différents. On sent ici que Darken case ses compos de Lord Wind, projet parallèle instrumental qui ne m'a jamais séduit.
Dans l'ensemble, on peut considérer Immortal Pride comme un vaste brouillon, où quelques passages très bons sont noyés sous une tonne de remplissage et de recyclage. Le dernier reproche que j'aurais à formuler concerne la discographie du groupe: entre 1993 et 1998, chaque disque de Graveland avait sa propre personnalité, sa propre ambiance, sa propre production. En ce sens, la découverte de chaque disque témoignait d'une expérimentation et d'une évolution sonore et presque stylistique:
- In the Glare of Burning Churches et The Celtic Winter pour la période crue, brute et presque minimaliste du groupe, avec une production sale, une ambiance sombre et des vocaux écorchés
- Carpathian Wolves, introduisant quelques mélodies épiques, notamment au synthé
- Thousand Swords, summum créatif du groupe sous forme de trio, avec ses riffs épiques celtisants évoquant une nostalgie médiévale, sa production organique et naturelle typiquement polonaise, réminescente du premier Veles ou Infernum
- Following the Voice of Blood, accentuant le manque de saturation des guitares, au son proche de l'overdrive.
Depuis Creed of Iron, tous les albums de Graveland s'enchaînent et se ressemblent en présentant la même formule surgelée-réchauffée de viking/black metal orchestré sur ordinateur, avec pochette interchangeable. Ainsi, tous les bons groupes de black metal des années 90 qui restent en activité semblent condamnés à ne plus produire que de l'auto-imitation (voire de l'auto-caricature), de la forme pagano-compatible sans fond où les idées et concepts restent fidèles pour combler la disparition de la rage créative initiale. Le cas des albums post-carcéraux de Burzum est assez similaire.
La scène black metal est morte et enterrée et ne ressuscitera pas tant que la majorité des acheteurs continueront à soutenir les vieux groupes assis sur leurs lauriers en laissant crever dans l'indifférence les groupes inconnus plus jeunes et talentueux, dont la créativité n'est pas encore émoussée par les années, l'auto-satisfaction et le manque d'exigence.