Rock Anti Capitaliste
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment :
Funko POP! Jumbo One Piece Kaido Dragon Form : ...
Voir le deal

 

 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
H.N.
Admin
H.N.


Messages : 959
Date d'inscription : 12/10/2010

'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait EmptyLun 16 Jan - 14:34

Haïdée restait immobile comme une statue ; elle dégageait une atmosphère étrange. Son absence totale de fascination avait quelque chose de fascinant.

Le lecteur excusera le paradoxe de ma formule. Elle réunissait toutes les qualités qu'une femme attrayante peut avoir - les restes d'une beauté troublante, les signes d'une certaine expérience, une discrétion mystérieuse qui était censée la rendre irrésistible - mais elle était complètement dépourvue de charisme. Le charisme n'est pas un phénomène scientifiquement quantifiable, et pourtant il détermine le destin des humains, les propulsant sur le devant de la scène ou à la tête d'un empire - mais la science l'ignore car elle ne peut le mesurer avec des instruments précis...

Toute sa vitalité semblait canalisée vers une sphère intérieure secrète de son âme.

Elle commença à parler pour la première fois de la soirée, d'une voix monotone - Lou me confia plus tard qu'elle lui rappelait un hymne funèbre psalmodié par des moines tibétains au sommet d'une montagne enneigée. Le seul sujet au monde qui présentait un intérêt à ses yeux était l'héroïne.

"C'est la seule chose qui en vaille la peine", dit-elle sur un ton singulier de détachement extatique, qui laissait deviner une infinie joie démoniaque tirée de sa propre tristesse. Elle semblait prendre un plaisir morbide à incarner la mélancolie et la noirceur, présentant une sorte de majesté tourmentée.

"Le résultat ne vient pas tout de suite. Il faut naître avec l'héroïne, se marier avec et en mourir pour pouvoir comprendre. Tout le monde est différent, mais cela prend toujours des mois pour se débarrasser de cette maladie qu'est la vie. Tant que l'on a des besoins, on reste un animal. Quelle horreur que de manger et de faire l'amour comme du bétail! Même le simple fait de respirer nous répugnerait si l'on se rendait compte qu'on le faisait. Les gens les plus médiocres et les moins raffinés trouveraient la vie insupportable s'ils étaient conscients en permanence du processus de leur digestion."

Elle frissonna de dégoût.

" Avez-vous lu les mystiques, Sir Peter?, intervint Feccles.
- J'ai bien peur que non, mon cher. En fait, je n'ai rien lu d'autre que ce qui m'était imposé.
- Je me suis penché dessus pendant quelques années. "

Il s'interrompit net et rougit, comme si cette évocation lui rappelait des souvenirs déplaisants. Il tenta de faire diversion en développant un exposé détaillé des doctrines de Sainte Thérèse d'Avila, Miguel de Molinos et autres penseurs mystiques de la même école.

"Ce qu'il faut retenir", conclut-il, "c'est que tout ce qu'il y a d'humain en nous est un obstacle sur la voie de la sainteté. Voilà le secret des saints : ils renoncent à tout pour atteindre ce qu'ils appellent la pureté divine. Le problème n'est pas de se débarrasser des péchés et des vices, qui ne sont que des formes élémentaires d'immoralité ; les vraies difficultés apparaissent quand ils sont loin derrière. Pour celui qui choisit la voie de la sainteté, toute manifestation corporelle ou mentale constitue par essence un péché, même si la morale naturelle la définit comme une vertu. Haïdée n'est pas très éloignée de cet idéal."

Elle acquiesça sereinement.

"Je n'imaginais pas que ces penseurs puissent être aussi sensés. Moi qui les prenais pour des bigots, je comprends leur discours maintenant. C'est bien le choix de la sainteté que j'ai fait, s'il faut l'expliquer moralement. Je me sens contaminée par toute forme de contact humain, même avec moi-même. J'ai été la reine des pécheresses à mon époque, mais désormais la seule sensation que m'inspire l'idée de l'amour physique est une légère nausée. Je ne mange presque rien ; il faut vraiment être un rustre et vouloir se vautrer dans l'action pour avoir besoin de trois repas par jour. Je ne parle presque jamais ; les mots sonnent tellement creux, vides de sens et superflus... Personne ne parvient à élaborer son propre langage. J'ai essayé la vie humaine et la vie sous héroïne ; je ne regrette pas d'avoir choisi la seconde."

Lorsque j'évoquai la courte durée de vie des héroïnomanes, un sourire las étira ses joues creuses. L'expression tragique de son visage hivernal nous glaça.

Elle baissa les yeux vers ses mains, dont je remarquai avec étonnement l'extrême saleté, puis explicita son sourire :

"Bien sûr, si vous comptez le temps en années terrestres, je ne peux vous donner tort, mais les calculs des docteurs ne tiennent pas compte de la vie spirituelle. Avant de commencer l'héroïne, je voyais les années défiler sans que rien de marquant ne m'arrive. J'étais comme une enfant gribouillant sur les pages d'un livre. Aujourd'hui, une minute ou une heure - je ne fais même plus la différence - contient plus d'intensité vitale que cinq ans de mon existence d'avant. D'autre part, vous évoquez la mort, et c'est tout à fait naturel de votre point de vue : vous savez que vous allez mourir, comme tous les êtres vivants. En ce qui me concerne, je suis loin d'en être sûre, et de toute façon l'idée m'indiffère autant que toutes vos futiles considérations d'humain."

Elle se tut, s'affala sur son siège et referma les yeux.

Je n'ai pas la prétention d'être un philosophe, mais il me parut évident que sa position était inattaquable : comme le dit G.K. Chesterton, "on ne peut contester ce que l'âme choisit."

En acquérant la conscience, l'être humain aurait perdu la joie de vivre inhérente aux autres animaux - c'est le sens de la légende de "La Chute". Nous sommes devenus des dieux conscients du bien et du mal, nous en payons le prix par le travail et la peur de la mort.




Extrait du Journal d'un Drogué, écrit par Aleister Crowley, traduit par mes soins et publié chez Camion Noir:
http://www.camionnoir.com/?p=detail_livre&ID=239

Ceux qui veulent se procurer un exemplaire du livre auprès de moi peuvent me le demander en privé.
Revenir en haut Aller en bas
https://r-a-c.forumgratuit.org
Cartouche

Cartouche


Messages : 222
Date d'inscription : 22/11/2010
Localisation : France

'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: Re: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait EmptyVen 10 Fév - 11:24

Passage étonnant et troublant, dont je me suis senti parfois familié à la lecture, la lucidité et le dégout surtout.

Citation :

Quelle horreur que de manger et de faire l'amour comme du bétail!
Même le simple fait de respirer nous répugnerait si l'on se rendait
compte qu'on le faisait. Les gens les plus médiocres et les moins
raffinés trouveraient la vie insupportable s'ils étaient conscients en
permanence du processus de leur digestion.

Il y a quelques années ce genre de reflexions me traversaient souvent l'esprit et m'obsédaient presque. Depuis j'ai pris le parti du bonheur par l'instinct et d'admettre que je suis un animal, qui mange et copule dans l'unique but de se reproduire avec une femelle génétiquement compatible afin d'engendrer un individu sain. Mais ce n'est pas non plus très réjouissant je vous l'accorde.

En tout cas Crowley que je connais mal, m'apparaît sous un angle plus intéressant maintenant, à vrai dire je le prenais juste pour un occultiste à la con de plus, autant pour moi.
Revenir en haut Aller en bas
H.N.
Admin
H.N.


Messages : 959
Date d'inscription : 12/10/2010

'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: Re: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait EmptyLun 13 Fév - 14:04

Cartouche a écrit:
Mais ce n'est pas non plus très réjouissant je vous l'accorde.

D'où l'intérêt d'adhérer à une cause, à des idéaux, et de faire des projets.

Pour moi la vraie force/virilité c'est de se fixer des objectifs sur le long terme et de les remplir, quelle que soit la difficulté des épreuves qu'ils impliquent.

Les gens passifs, qui attendent qu'on fasse des efforts et qu'on prenne des initiatives à leur place, qui se laissent finalement diriger par les autres, ont un esprit féminin.

De toute façon il n'y a pas d'autre solution pour échapper à la médiocrité du quotidien - médiocrité dont les suiveurs, les faibles et les femelles se satisfont, car leurs attentes sont à la hauteur de leurs capacités.
Revenir en haut Aller en bas
https://r-a-c.forumgratuit.org
Cartouche

Cartouche


Messages : 222
Date d'inscription : 22/11/2010
Localisation : France

'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: Re: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait EmptyMar 14 Fév - 11:56

Ouais.

Et sinon t'en pense quoi de Crowley? Il aurait sans doute fais un très bon publicitaire vu la capacité qu'il avait à faire parler de lui en toutes circonstances.
Revenir en haut Aller en bas
H.N.
Admin
H.N.


Messages : 959
Date d'inscription : 12/10/2010

'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: Re: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait EmptyMer 15 Fév - 12:32

Pas grand chose. Le message du livre m'intéresse plus que le personnage de Crowley en lui-même. Je ne suis pas spécialement chaud pour traduire un autre de ses livres par exemple.

Néanmoins j'ai lu sa biographie sur Wikipédia. Il semble qu'il ait été bisexuel et qu'il ait participé à des rites sexuels pseudo-magiques. Je n'ai pas trouvé grand chose concernant ses positions sur le IIIème Reich (dont il a été contemporain).

Enfin, si tu regardes le site de l'Ordo Templis Orientis, c'est des espèces de hippies proche d'un catholicisme réformé.
Revenir en haut Aller en bas
https://r-a-c.forumgratuit.org
Contenu sponsorisé





'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty
MessageSujet: Re: 'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait   'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
'Journal d'un Drogué', par Aleister Crowley - extrait
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Rock Anti Capitaliste :: Culture :: Littérature & BD-
Sauter vers: