Il existe des perles mésestimées, des disques recouverts d’une couche de poussière par l’oeuvre du temps et de l’oubli. On The Sortilage of Christianity en fait partie. Publié en 1999 en Ukraine, puis en 2001 par Chanteloup Créations avec un titre russe* en caractères cyrilliques, l’album se fait remarquer par le magazine français Metallian qui en publie un extrait dans son CD sampler. C’est grâce à ce morceau « Чёрное чёрному » (« du noir au noir ») que j’ai pu découvrir cet obscur groupe ukrainien. Morceau absolument génial – dont le titre a été malheureusement omis sur la pochette du CD sampler de Metallian – qui m’a marqué jusqu’à aujourd’hui. Et tout le reste de l’album est du même acabit, même s’il s’agit du meilleur morceau (bien sélectionné par l’équipe de Metallian, en l’occurence).
Musicalement, on a affaire à du black metal symphonique furieux au tempo très rapide, avec un batteur qui blaste ou double pédale en permanence. J’emploie le terme symphonique mais les claviers jouent une partition très différente des guitares. En fait les deux instruments brodent des mélodies distinctes mais complémentaires, qui créent une atmosphère que je ne saurais qualifier autrement que de majesté maudite (pour reprendre le titre de la première démo des Polonais d’INFERNUM).
Oui, on ne peut pas nier la proximité sonore de NOKTURNAL MORTUM époque NeChrist (partageant le même batteur et le même claviériste), mais LUCIFUGUM s’en démarque par sa propre patte, notamment cette orchestration synthétique plus dramatique et moins folklorique.
Toutes les circonstances auraient pu concourir à faire entrer cet album dans la légende : la participation de Saturious et Munruthel, le décès par overdose du guitariste Bal-A-Myth (peut-être principal compositeur de l’album avec Saturious), les textes en ukrainien, écrits par Igor Naumchuk qui n’a rien composé d’autre (alors qu’il est censé être le leader du groupe) dans l’album - qui ressemble à un projet parallèle de membres de NOKTURNAL MORTUM.
Et pourtant cet album est relativement tombé dans l’oubli, malgré sa qualité géniale qui surpasse – et de loin - bien des albums norvégiens de seconde zone (OBTAINED ENSLAVEMENT, LIMBONIC ART, TROLL, et j’en passe). Rideau de fer oblige ? Peut-être, mais c’est tout de même incroyable de constater avec le recul la qualité de cette scène ukrainienne de l’époque, que pourtant rien ne prédestinait, surtout comparée à la pauvreté de la scène russe.
Je ne peux terminer cette chronique sans mentionner l’autre morceau marquant de l’album: le final éponyme, avec ses tambours apocalyptiques évoquant cette malédiction inéluctable. Une traduction rapide du russe vers le français me fait découvrir un texte blasphématoire, obscène, presque immature. Mais la puissance évocatrice de la musique reste écrasante.
L’avant-dernier morceau est également de très bonne facture. Je dois aussi mentionner la production de la batterie, dont l’intensité du jeu est retranscrite de manière assez claire malgré le défi que représente le mixage d’un tel maëlstrom sonore. La voix enfin ne perd pas en intensité tout au long de l’album, qu’elle ponctue comme un instrument d’accompagnement.
L’excellence de la production artisanale, la furie des acteurs musicaux, le génie des compos, la présence de trois morceaux inoubliables : je pense que ces éléments suffisent à classifier un chef d’oeuvre, même si le grand public – comme souvent – restera aux abonnés absents.
* Les textes sont en russe. J’ignore pourquoi l’auteur, qui habite à Zhytomir, les a écrits en russe et pas en ukrainien.
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