Rock Anti Capitaliste
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 Libéralisme et spéculation affective

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H.N.
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H.N.


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Date d'inscription : 12/10/2010

Libéralisme et spéculation affective Empty
MessageSujet: Libéralisme et spéculation affective   Libéralisme et spéculation affective EmptyLun 10 Aoû - 3:06

En arrivant dans un lycée public, j'ai pu constater à une large échelle un phénomène facile à cerner mais difficile à expliciter: la hiérarchie des fréquentations en fonction du degré de popularité des individus. Mon but initial était clairement d'intégrer un lycée public pour me faire des nouveaux amis populaires et cotés. Cela n'a pas marché. Suis-je en train de dénoncer un phénomène dont je voulais profiter uniquement parce que j'ai échoué, ou étais-je dans le fond trop franc pour accepter de jouer le jeu de la comédie sociale? Peu importe, car tel n'est pas le sujet de cet article. Il est bien plus intéressant d'essayer d'analyser ce phénomène en profondeur et de le mettre en relation avec d'autres facteurs.

Tout d'abord, on voit bien qu'il y a une sorte d'exclusivité dans les relations sociales. Si A fréquente B au départ, il ne peut fréquenter C. Quand il se met à fréquenter C, il a forcément délaissé B entre temps. Il y a donc une hiérarchie dont les échelons respectifs ne se mélangent pas. Première conséquence: on ne s'intéresse pas à la personnalité des gens qu'on fréquente. A fréquente B au départ pour ne pas être seul, pour ne pas paraître "sans amis". Dès que A grimpe dans la hiérarchie, il peut atteindre C en sacrifiant B. Mais A ne s'intéresse pas plus à C qu'à B: il cherche juste à grimper dans la hiérarchie sociale, et à acquérir ce faisant un statut possédant plus d'avantages (popularité, opportunités, invitations). On ne fréquente plus des êtres humains en fonction de leur personnalité, mais des avantages que leur fréquentation procure. D'ailleurs, il ne s'agit même pas d'être réellement proche d'eux: il suffit de le laisser paraître. Il s'agit de pure spéculation. Tout se passe dans le regard des autres. Si les autres voient A comme quelqu'un de populaire parce qu'il fréquente C et D, alors ils vont vouloir se rapprocher de A et lui offrir des opportunités. Plus on a d'opportunités, plus on peut choisir et afficher l'étendue de ses options: le summum de cette logique est atteint dans les sorties du samedi soir. Une personne populaire peut ainsi faire miroiter le fait qu'elle est conviée dans 3 ou 4 endroits différents, en mettant ses invitations en attente jusqu'à faire son choix. Inversement, celui qui n'a aucune proposition et qui reste seul chez lui le samedi soir est considéré comme un perdant. C'est pourquoi la question fatidique se posait souvent le lundi matin en cours: "alors t'as fait quoi samedi soir?"

Je parle ici de mon expérience de lycéen, cependant ce phénomène se retrouve à tous les âges, dans toutes les strates de la société: par exemple, parmi les collègues de travail, dans la scène black metal (pourtant censée être misanthrope et anti-sociale) et dans les autres sous-cultures musicales/artistiques. Le phénomène s'est même gravement amplifié avec le développement sur internet des réseaux sociaux, qui ont d'ailleurs phagocyté les forums de discussion. Désormais, il faut afficher son nombre d'amis comme une voiture de luxe ou des vêtements de marque. La comparaison avec une voiture de luxe est pertinente: la spéculation affective, c'est comme acheter une voiture non pour son confort, son aspect esthétique ou ses qualités de véhicule de conduite, mais uniquement pour la montrer parce qu'elle est chère. C'est un peu comme si on prenait un chien uniquement pour le sortir et le montrer aux autres.

Je suis convaincu que ce phénomène est totalement consubstantiel à l'économie de marché, qu'il en est une conséquence directe, logique et inévitable - je vais le démontrer.

Les êtres humains ne peuvent pas être réduits à des données économiques basiques car ils possèdent des atouts ayant une valeur économique potentielle: leur force de travail, leur popularité, leur capital sympathie, leur pouvoir de séduction, etc. Le libéralisme a réussi à contingenter ces différents atouts en les hiérarchisant avec des critères précis: par exemple, le CV et le diplôme sur le marché du travail (dans une entreprise, la grille des salaires est à peu près adaptée au niveau d'études et d'expérience; la négociation du salaire lors de l'embauche se fait d'ailleurs sur cette base).

Autre exemple: dans le domaine de la prostitution, les tarifs dépendent d'un ensemble de critères (le fait de parler français ou d'autres langues, d'accepter certaines pratiques, l'âge, la beauté physique, la réputation bâtie sur les commentaires des clients) qui rendent le marché du sexe assez stable et prévisible.

Cependant, le capital sympathie/affectif d'une personne est une donnée difficile à classifier et à hiérarchiser, car le domaine des émotions et sentiments humains est trop vaste et complexe. Un individu peut par exemple avoir une culture étendue, un niveau de conversation élevé et beaucoup d'humour, mais un caractère difficile à supporter. De plus, la chimie des rapports humains relève encore d'un certain mystère, tant elle est difficile à prévoir (parfois X s'entend bien avec Y alors que tout présageait un conflit, ou inversement, W se dispute avec Z alors que tout les rapprochait); il ne faut pas négliger en outre les données hormonales (ce qu'on appelle l'humeur) et le contexte socio-historique des rencontres.

Par conséquent, le libéralisme s'est adapté en agissant comme n'importe quel système totalitaire: en réduisant les données complexes à des données simples, en niant leur complexité et l'étendue de leurs composantes. Quoi de plus simple à quantifier que:
- le nombre d'amis sur Facebook
- le nombre de vues d'une vidéo sur Youtube
- le nombre d'exemplaires vendus pour un livre ou un album?

Ces chiffres deviennent ensuite des arguments de vente, sauf qu'il n'y a rien de concret à vendre, car encore une fois, tout ceci n'est que de la pure spéculation, où l'intéressé espère obtenir un statut supérieur avec des avantages adéquats.

Inversement, est considéré automatiquement que:
- celui qui a peu d'amis affichés est un raté dont personne ne veut
- une vidéo ayant peu de vues a un contenu inintéressant
- une œuvre ayant peu de succès commercial est forcément nulle et ratée.

Ceci n'est pratiquement même plus l'objet d'un débat. Je veux dire que cette considération est désormais largement assénée comme un argument d'autorité, sans contestation. Les débats sur le rapport complexe entre la qualité et le succès se font rares.

L'extension du totalitarisme libéral se fait par le biais d'internet, qui envahit les vies privées par le biais des téléphones intelligents. Combien de personnes en achètent uniquement pour faire comme les autres (comme les collègues, comme les amis, comme la famille), pour ne pas être exclues? Certainement une majorité, une majorité de collaborateurs passifs. L'accès à la communication a explosé, mais la communication réelle disparaît progressivement. Divers outils sont mis en œuvre pour la faire disparaître: la novlange du langage texto/abrégé, des anglicismes, des abréviations informatiques (lol, wtf,omg), le remplacement du langage par des images (photos, émoticônes).

La résistance est nulle. Les mêmes qui crient contre le racisme, le fascisme et le sexisme collaborent avec dévouement à l'invasion de nos vies par le totalitarisme libéral et sa logique spéculative. Les mêmes qui dénoncent les "illuminatis", les sionistes et le Nouvel Ordre Mondial passent leur vie à poster des messages sur Facebook et Youtube. Les mêmes qui se prétendent anti-système suivent cette logique de "je ne peux pas te fréquenter car tu es ami avec untel que je n'aime pas ou qui a dit du mal de moi".

Tant que l'économie de marché persistera, tant qu'un système hiérarchique traditionnel basé sur des valeurs réelles et non spéculatives ne sera pas imposé à l'ensemble de la société, alors les humains continueront - car c'est leur nature - à vouloir être plus que ce qu'ils ne sont réellement, à vouloir atteindre l'échelon supérieur, et comme la nature humaine est paresseuse, ils préfèreront toujours tenter de l'atteindre par la spéculation que par le travail.

Celui qui défend le capitalisme, le libéralisme et l'économie de marché ne défend pas le travail, mais - indirectement - la paresse. Aucun travailleur honnête et consciencieux ne peut faire valoir ses qualités réelles sans tricher ni spéculer dans le marché du travail capitaliste. Celui qui dit la vérité dans un système basé sur l'apparence est toujours, systématiquement perdant face au menteur. C'est une règle inévitable, car les apparences sont trompeuses, et les masses, intellectuellement oisives, préfèrent croire plutôt que comprendre, raisonner et savoir.

On pourrait aussi discuter du court terme et du long terme. Le but d'un individu moyen est de trouver un travail stable et de fonder une famille. Comme on l'a vu précédemment, le fait de participer à la spéculation affective/sociale peut fournir un statut offrant des opportunités dans ce sens, mais la spéculation, par son essence éphémère, peut défaire ce qu'elle a fait. C'est-à-dire que quelqu'un de populaire, socialement bien intégré, peut effectivement rencontrer sa future femme (ou son futur conjoint) et son employeur grâce à son réseau, puis ensuite se faire voler sa femme par son propre meilleur ami. Cela arrive régulièrement et c'est parfaitement compréhensible, puisque le réseau fonctionne en suivant une logique spéculative d'intérêts privés à court terme, et non une logique moralement respectable d'intérêt collectif à long terme.

Un "exclu social" resté en dehors de la vie mondaine peut réussir à rencontrer une "exclue sociale" et à fonder une communauté saine, mais cela est très difficile, bien plus difficile que le cas précédent, pour les raisons suivantes: toute la société occidentale tourne autour de la spéculation affective et cherche à l'imposer. Tous les acteurs de la société sont obligés malgré eux d'être les vecteurs du totalitarisme libéral. On a vu comment les téléphones intelligents se répandent. On a vu la logique vicieuse du "tu fais quoi samedi soir?". On a vu la logique du nombre qui fait désormais autorité (logique démocratique du suffrage universel). Quels êtres humains sont assez forts psychologiquement pour réussir à résister à une telle pression? En réalité, ils sont ultra-minoritaires, et ils n'ont pas forcément des caractères compatibles entre eux.

Toutefois je ne veux pas terminer cet article sur une note pessimiste. Je crois réellement que des solutions peuvent être étudiées et pratiquées. À un niveau personnel, les pièges de la consommation libérale peuvent être évités, et l'on peut devenir ensuite un modèle pour son entourage. Il est possible en outre de gagner sa vie en dehors du marché du travail réglementé, par exemple en travaillant au noir, à condition d'avoir des capacités réelles, un réel talent à mettre au service d'autrui. Il est possible également de bâtir des relations amicales fidèles et sincères, en s'intéressant réellement à l'autre et en cherchant à le faire progresser, sans tolérer ses vices de manière complaisante. Bien entendu, ces solutions demandent beaucoup plus d'efforts, de force de caractère et de rigueur que de suivre le troupeau. Mais il suffit qu'une petite minorité montre la voie pour qu'une partie de la population la suive et crée une contre-société.

L'avenir n'est pas dans la mouvance dite "dissidente" et dans ses querelles de chapelles groupusculaires. L'avenir est dans le travail personnel de chacun, un travail personnel de purification, d'authentification des relations sociales. L'avenir est dans l'amour de l'autre, car s'intéresser à l'autre et souhaiter son progrès, c'est déjà une forme d'amour.
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