Shadowgate
NES
Kemco, 1989
Aventure / jeu de rôle / pointer & cliquerJ'avais reçu
Shadowgate en cadeau d'anniversaire à sa sortie en 1989. La boîte du jeu me faisait tripper avec ses visuels fantastico-gothiques, comme tous les jeux se passant dans un château médiéval dans un univers typé de jeu de rôle. À l'époque, mon expérience du jeu se limitait à 2 tableaux: la porte d'entrée du château et le hall d'entrée. Au bout d'une minute, j'étais déjà bloqué irrémédiablement. J'avais donc laissé le jeu traîner dans un coin, un peu dépité par l'arnaque (2 tableaux pour 600 francs). Par la suite, une quinzaine d'années plus tard, j'ai appris qu'il fallait ouvrir le crâne au dessus de la porte du château pour choper la première clé. Il suffisait d'y penser!
Cette introduction me permet de résumer le jeu en une seule phrase: impossible d'avancer plus de 5 minutes dans l'aventure sans avoir la soluce sous les yeux ou la connaître par cœur*. Où que le joueur se dirige, il est fatalement confronté à une impasse qu'il ne peut surmonter qu'en résolvant une énigme, ou plus exactement, en exécutant une manipulation précise et exclusive. Exemple: 'utiliser' la torche de gauche dans une pièce pour ouvrir un passage dans le mur. Si on 'prend' la torche, ça ne marche pas. Tout le jeu est comme ça. Pratiquement aucune initiative spontanée reposant sur un raisonnement logique ne fonctionne. De plus, quand on prend un objet ou qu'on veut aller quelque part, il faut cliquer dessus au pixel près, sinon ça ne marche pas.
Il faut cliquer exclusivement sur la fente noire (que j'ai encadrée en rouge) pour passer derrière la cascade et récupérer un objet important. On ne peut rien faire d'autre dans cette salle.Il faut ramasser pratiquement tous les objets qu'on trouve dans le décor, car même ceux qui peuvent paraître les plus incongrus (un balai, un crâne) serviront à quelque chose (mais inutile de chercher une utilisation logique, genre balayer le sol pour dégager les pierres qui obstruent un escalier). Par chance, le héros est probablement doté d'une valise géante, vu comment la liste d'objets s'agrandit au fur et à mesure de ses pérégrinations. Cf la fin du paragraphe suivant.
Certes, les musiques sont motivantes et l'ambiance est assez absorbante, mais la maniabilité des commandes est très rébarbative. N'importe quelle action simple prend un temps assommant: par exemple, pour aller dans une nouvelle pièce, il faut ouvrir la porte (cliquer sur 'ouvrir', puis sur la porte), puis passer à travers (cliquer sur 'bouger' puis sur la porte). Bien sûr, ça ne marche que si la porte n'est pas verrouillée, comme le sont la plupart des portes. Pourquoi donc avoir avoir intégré cette action d'ouvrir dans les commandes? Pourquoi ne pas résumer les fonctions 'utilise', 'prends' et 'ouvre' en un seul bouton?? Et surtout,
pourquoi avoir inclus une fonction 'ferme'? Cette fonction est strictement inutile! Je défie quiconque de me prouver qu'on ne peut pas finir le jeu sans s'en servir une seule fois.
Idem pour la fonction 'leave' (mal traduite en français par 'sors', et ce n'est pas la seule erreur de traduction du jeu):
inutile, puisque le nombre d'objets transportables n'est pas limité.Résumons-nous: sur les huit fonctions proposées par l'intertexte (vois - prends - ouvre - ferme - utilise - tape - sors/laisse - dis), deux (ferme - sors) sont inutiles (8-2=6). 'Ouvre' et 'utilise' auraient pu êtres réunies en une même fonction (6-1=5). 'Tape' aurait également pu être réuni avec 'utilise', puisqu'on frappe généralement les ennemis en utilisant une arme sur eux (5-1=4). Enfin, vu que le héros n'engage aucun débat philosophique avec les rares monstres ou créatures qu'il rencontre, on peut supposer que la fonction 'parle/dis' est caduque et qu'il aurait suffi de programmer le déclenchement des sorts avec la fonction 'utilise'. Ce qui nous laisse seulement trois fonctions réellement utiles, soit le même nombre que les boutons vacants de la manette NES: A, B et Select. Si les programmeurs avaient eu un peu de bon sens et qu'ils avaient voulu livrer une réelle adaptation du jeu Atari originel et non un simple portage vers la NES, ils auraient attribué la fonction 'utilise-tape-prononce-ouvre' au bouton A, la fonction 'prends' au bouton B et la fonction 'vois/regarde' au bouton Select... 8 fonctions, c'est 5 de tropLe jeu consiste en une série de tableaux fixes, avec parfois une petite animation déclenchée par une action du joueur. Les graphismes sont fidèles à l'esprit gothique du jeu, mais très approximatifs, au point qu'on est obligé de cliquer 'regarde' sur la plupart des objets pour savoir ce que c'est. Le fait d'appuyer sur
Start est censé nous apporter un indice, mais dans les faits, 90% des "énigmes" (au sens large) sont impossibles à résoudre, même en cliquant partout au hasard. Les initiatives spontanées ne payent pas. Les soi-disant solutions des énigmes sont en fait des enchaînements d'actions dépourvus de logique rationnelle et impossibles à deviner. Exemple: dans une pièce, il faut allumer le feu dans l'âtre et prononcer une formule magique pour ouvrir un globe terrestre et prendre ce qu'il contient. Mais pourquoi pas un simple coffre, bordel?
L'interactivité des éléments du décor est à la fois large et restreinte. Large parce qu'on peut effectuer certaines actions saugrenues (mettre le feu à un tapis), mais restreinte parce que quand on essaye de faire quelque chose de logique (envoyer un projectile sur un dragon qui nous crache des flammes dans la gueule pour le buter), ça ne marche pas et l'écran affiche une formule-type d'échec (deux ou trois formules reviennent systématiquement quand on fait une action inutile). Bref, l'interaction du jeu est à géométrie variable.
Pourtant, le texte narratif est cool. L'aventure interactive proposée par
Shadowgate ressemble beaucoup à un Livre Dont Vous Êtes Le Héros.
Shadowgate pourrait vraiment être le jeu idéal à pratiquer au lit juste avant de s'endormir (pour les gens comme moi qui peinent parfois à trouver le sommeil): en effet, il présente l'avantage d'immerger le joueur dans l'atmosphère prenante d'une virtualité fantastico-médiévale. Il
pourrait être le jeu idéal avant de dormir si les actions à accomplir relevaient d'une logique simple et si les 3/4 des portes n'étaient pas verrouillées. Il
pourrait si les problèmes à résoudre comportaient plusieurs solutions ne dépendant pas d'un objet magique difficile à trouver ou d'une combinaison d'actions quasi-impossible à deviner. Il
pourrait s'il n'était pas indispensable de jouer avec la soluce sous les yeux ou de la connaître par cœur. D'ailleurs, même la soluce est parfois difficile à décrypter, tant les actions à réaliser sont incongrues ou millimétrées. Et malheureusement, le texte interactif du jeu livre peu de nuances entre le chaud et le froid: la plupart du temps, on se voit signifier un laconique "cela ne semble pas marcher"/'vous perdez votre temps", même si on s'est juste trompé de pixel ou de commande.
Shadowgate ne manque pourtant pas d'atouts:
- l'ambiance à la fois ludique (parfois humoristique), un peu angoissante et morbide, sans faute de goût/cohérence textuelle ou scénaristique
- l'excellente bande-son constituée de thèmes musicaux relativement variés et de bruitages de bonne facture
- les petites animations ou modifications du décor déclenchées par certaines actions qui pimentent un peu la monotonie des tableaux fixes
- l'étendue des possibilités offertes par la liberté d'action.
Malheureusement, malgré ces atouts,
Shadowgate s'avère un jeu frustrant à cause de toutes les raisons invoquées ci-dessus. J'ai finalement plutôt envie de regarder une vidéo du jeu terminé en un quart d'heure que de continuer à jouer. Dommage.
* Je sais que cette caractéristique est typique des jeux d'aventure sur NES de la fin des années 80 (cf
Castlevania II: Simon's Quest et ses manips du genre "accroupissez-vous pendant 10 secondes devant une falaise pour qu'une tornade apparaisse et vous emmène dans un palais"). C'est d'autant plus rageant que certains de ces jeux ont un potentiel vidéoludique qui frise le génie.